Avoir le courage de changer ce qui peut l’être, accepter avec sérénité ce qui ne le peut pas et posséder le discernement nécessaire pour faire la différence entre les deux. Telle est, en substance, la demande que Reinhold Niebuhr, un théologien protestant, a formulée dans les années 1930, devenue depuis la prière des Alcooliques anonymes. C’est à partir de cette triple proposition que David Richo a élaboré sa théorie du bonheur dans Les Cinq Choses qu’on ne peut pas changer dans la vie. Selon ce psychothérapeute californien, chacun, tôt ou tard, affronte cinq réalités terrestres : l’imprévu, le manque d’amour (ou la déloyauté), la souffrance, l’injustice, l’impermanence (ou la finitude). Inutile de songer à fuir, seul un positionnement juste peut nous faire traverser ces épreuves en nous permettant d’en tirer des enseignements nourrissants.
Pourquoi nous souffrons
Un entretien qui ne débouche pas sur un emploi, une mutation qui nous est refusée, un enfant qui ne paraît pas… Avoir la sensation de ne pas, de ne plus maîtriser sa vie est profondément anxiogène. Surtout dans notre culture, où la dimension sacrée de la vie a été gommée au profit exclusif de sa conception matérielle. Dans la pensée jungienne, c’est l’absence de conscience du lien entre soi et l’univers qui est source de souffrance, de comportements destructeurs. Ainsi, notre malaise est-il double. Au désarroi qui nous envahit quand nos plans sont contrariés s’ajoute celui d’être seul. Cette impression de dépossession nous fait alors recontacter l’enfant en nous, celui qui ne comprend pas pourquoi on lui dit non. Et, plus le sentiment d’avoir été peu soutenu, mal accompagné dans son enfance est grand, plus les « non » de la vie sont difficiles à accepter. En revanche, si l’on accepte l’idée que l’existence elle-même est soumise aux lois de l’univers, notre désir si humain de toute-puissance s’en trouve relativisé.
Comment accepter
En se demandant si l’élément perturbateur est dû à un événement totalement extérieur ou s’il est le résultat d’actes et de choix qui n’ont pas été aussi justes et judicieux qu’ils auraient dû l’être. Cet autobilan permet de redevenir acteur de sa vie et de mieux envisager l’avenir. Une autre piste à explorer : sonder notre manque. Nos projets ont été contrariés, et cela nous a privé de la satisfaction de leur réalisation. Mais de quel manque souffrons-nous ? Quelle satisfaction attendions-nous exactement ? Reconnaissance sociale, consolidation affective, amélioration matérielle ? C’est en identifiant notre attente déçue que nous pouvons réfléchir à d’autres moyens de les satisfaire. Cet examen de nos actes, des événements et des opportunités nous ouvre à une dimension plus sensible et plus intuitive de l’existence. Et nous permet de prendre en compte des messages, des heureuses coïncidences qui vont nous aider, dit Jung, à faire les meilleurs choix pour soi.
Pourquoi nous souffrons
Être aimé et se sentir aimé signifient se sentir reconnu, validé dans son existence. Une société au sein de laquelle les liens et l’engagement ne sont plus marqués du sceau de la pérennité favorise l’état d’inquiétude affective permanente, tout au moins chronique. Sans le regard aimant des autres – amis, conjoint, famille, collègues –, nous ne nous sentons plus exister, notre identité personnelle se trouble. La demande d’amour contemporaine est une demande de reconnaissance identitaire. Si elle reste sans réponse, c’est le sens même de notre vie qui nous échappe. La déloyauté renvoie aussi à la négation de soi : être trahi, cela signifie voir sa confiance, ses droits et ses besoins ignorés, bafoués. La trahison brise le contrat tacite qui prévaut dans tout échange humain équilibré : je donne et je reçois à hauteur de mon don. Lorsqu’il y a rupture violente du contrat (adultère, licenciement, trahison amicale), c’est non seulement notre confiance en l’autre qui est abîmée, mais aussi notre confiance en nous-même (« Qu’est-ce que je vaux pour être traité avec si peu d’égards ? »).
Comment accepter
Il faut distinguer la déception affective et la déloyauté au sein d’une relation (ami, couple, famille) de la trahison qui implique un tiers extérieur (licenciement économique, escroquerie, etc.). Une relation est toujours une cocréation. Pour avancer et éviter de répéter un schéma erroné, il est nécessaire d’interroger le lien et la façon dont nous l’avons nourri. Comprendre ce qui est de notre fait, et non de notre faute, comme disait Françoise Dolto. Qu’ai-je donné et comment (trop, pas assez)? Qu’ai-je attendu de l’autre ? Ai-je été capable de satisfaire moi-même mes besoins essentiels ? Ce travail peut être fait avec un proche ou un professionnel de la relation d’aide. Dans le cas d’une trahison inattendue, il est important de se réinvestir dans des liens et dans des activités dont nous retirons sécurité et plaisir. Seuls une restauration de l’estime de soi et le soutien de personnes aimantes pourront progressivement atténuer le choc et panser la blessure.
LA SOUFFRANCE
La souffrance fait partie de la vie
Pourquoi nous souffrons
Une rupture, un accident, une maladie… Imprégnés de culpabilité judéochrétienne, nous gardons toujours en tête, même inconsciemment, le lien entre souffrance et punition en réponse à un péché. Ce rapprochement est trop souvent fait aujourd’hui par les malades, qui ajoutent à leur douleur le poids de la culpabilité. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’est pas utile d’explorer la piste du « pourquoi », mais rechercher à tout prix la cause unique est une quête vouée à l’échec. Les sources de souffrance sont aussi diverses que leurs impacts. Elles varient en fonction de l’environnement émotionnel dans lequel nous avons grandi. Si nous avons eu la chance d’avoir des parents qui nous ont aidé à développer une culture de l’émotion (ressentir, nommer, accepter), alors la douleur pourra être, plus tard, non pas évitée, mais traversée, digérée. En revanche, si les premières émotions sont déniées, mal accueillies, refoulées, la souffrance face à l’épreuve n’en sera que plus intense.
Comment accepter
S’il est inévitable de souffrir, on peut toutefois interroger les croyances génératrices de douleur. Certaines nous maintiennent dans le rôle de victime (je ne suis pas à la hauteur), nous emprisonnent dans un scénario de répétition (les histoires d’amour finissent mal), ou encore nous poussent à être en décalage avec notre ressenti réel (je pleure d’avoir été quitté, mais suis-je vraiment effondré ?). Il s’agit là de dissonance émotionnelle. Pour se mettre à juste distance de la souffrance, il faut commencer par s’immerger dans son ressenti physique, afin de l’identifier clairement et de la nommer. Ce processus chasse les pensées erronées et les émotions parasites. Enfin, il est nécessaire de rechercher la première douleur pour mieux comprendre celle du présent. Aujourd’hui, je souffre d’avoir été abandonné par mon conjoint. Quand ai-je ressenti l’abandon pour la première fois dans ma vie ? Faire face à l’épreuve originelle et prendre conscience que l’on a déjà pu la dépasser aide à mieux traverser celle du présent.
L'INJUSTICE
La vie n’est pas toujours juste
Pourquoi nous souffrons
L’épreuve de l’injustice nous rappelle cruellement qu’il ne suffit pas toujours de vivre dans le bien et le vrai pour être bien traité par la vie. Trois causes peuvent expliquer le sentiment d’injustice. D’abord, l’intolérance à la frustration, une posture que notre culture, obsédée par la quête du bonheur hédoniste et individuel, favorise. La non-satisfaction de nos désirs est vécue comme une injustice. Ensuite, nous subissons parfois une situation objective d’injustice qui nous rend impuissant, d’autant plus que le sens de l’épreuve nous échappe (pourquoi être cruellement privé d’un être cher ? Pourquoi être licencié après s’être tant investi dans son travail?). Enfin, l’injustice faite à autrui, proche ou inconnu, peut aussi être source de souffrance. Il s’agit dans ce cas d’une atteinte à notre idéal, à notre code de valeurs morales, qui fait que nous nous sentons personnellement touché et ne le supportons pas.
Comment accepter
En commençant par remplacer le mot « accepter » par « prendre en compte ». Puis en interrogeant notre sentiment d’injustice : le ressentir ne signifie pas qu’il soit réel ou légitime, ou encore qu’il nous exonère de nos responsabilités. Subir la perte d’un être cher est profondément injuste et douloureux. Aucun psy ne pourra réduire le temps du chagrin et de la colère ; en revanche, il pourra nous aider si la douleur est insupportable. Pour les autres injustices, relationnelles ou existentielles, demandons-nous : « Que puis-je faire de juste, donc de bon pour moi, pour répondre à l’injuste ? » Cela nous permettra de ne pas rester coincé dans l’amertume ou dans l’esprit de vengeance. Mais il est essentiel, avant tout, d’identifier et de reconnaître les émotions que l’injustice a fait naître. Nous ignorons trop souvent son pouvoir toxique sur l’estime de soi. Paradoxalement, la victime, au lieu de se défendre et de faire valoir ses droits, peut se sentir coupable et honteuse. De ne pas être à la hauteur, d’être mal traitée. C’est pourquoi une injustice doit toujours être nommée et « travaillée ». La garder pour soi est une vraie bombe à retardement pour le psychisme.